Le piège de l’identité numérique se referme, il est encore temps de refuser

Un passeport numérique international est en cours de définition, pour réunir tous les systèmes actuels: des projets sont lancés par l’OCDE, l’Europe, l’Union africaine, l’OMS… même la banque mondiale s’y met. Objectif affiché: donner accès à tous aux paiements et donc à une identité numérique. Objectif réel: imposer un capitalisme de surveillance.

C’est un des objectifs du « développement durable » qui consiste à continuer avec le système économique actuel le plus longtemps possible: tracer chaque habitant de la planète de la naissance à la mort. Car il s’agit davantage d’identification que d’identité.

Selon les Objectifs de développement « durable » de l’ONU, il faut « fournir une identité juridique à tous les citoyens d’ici 2030, notamment en enregistrant toutes les naissances« . Traduction: pour que les gens aient accès à l’administration, il faut d’abord et surtout identifier tout le monde et la seule solution est une identité numérique.

C’est aussi un business énorme, et beaucoup d’Etats, de structures supranationales et d’acteurs privés sont en train d’essayer de numériser tout le monde, au prétexte de mettre en œuvre les fameux « objectifs » de l’ONU et de son agenda 2030. Selon une étude de McKinsey parue en avril 2019, les programmes d’identité numérique généralisés, pourraient dégager une valeur économique équivalente à 3 à 13 % du PIB en 2030, cela en « débloquant de la valeur » (nos données principalement mais il ne faut pas le dire, et pour raccrocher le milliard d’individus toujours pas connectés).

Les gouvernements les plus zélés en matière d’identité numérique : l’Angleterre, la France, les Etats-Unis.

10 ans d’efforts coordonnés pour un système mondial d’identification numérique

Dès 2014 la Banque Mondiale a lancé Identity for Development (ID4D) qui ambitionne d’ « aider les pays à réaliser le potentiel de transformation des écosystèmes d’identification numérique et d’enregistrement des actes d’état civil » et de permettre « à tous d’accéder à des services plus nombreux et de meilleure qualité et d’exercer leurs droits« . Evidemment, la cible n°1 sont les pays les plus défavorisés puisque dans les pays « riches » les contribuables sont déjà mis à contribution, et les principales bénéficiaires sont les entreprises.

Encore une fois, on trouve parmi les sponsors d’ID4D la fondation Gates, mais aussi la « République » française. Il s’agissait de donner un coup de booster et de coordonner les nombreuses initiatives autour de l’identité numérique, en donnant à ce délire qui avance sans aucun débat public ou même de fond l’apparence d’un phénomène inévitable.

Le programme ID4D touche une cinquantaine de pays, avec des programmes spécifiques. Au Mexique, par exemple, la Banque mondiale mène un projet de 225 millions de $ pour que le gouvernement mexicain investisse dans l’état civil, dans une base de données biométrique centralisée et dans un service d’identification personnelle. Aux Philippines, sous le très radical Duterte, elle a financé et accompagné depuis 2017 le développement du système PhilSys qui comprend des données biométriques, afin de « promouvoir un environnement pacifié et sécurisé où les terroristes, les criminels et les autres individus sans scrupules seront en difficulté« .

En Ouganda, c’est carrément l’armée qui pilote le programme d’identité numérique soutenu depuis 2014 par la Banque mondiale, appelé National Security and Information System et considéré comme un outil de surveillance, dont l’objectif est de « suivre et savoir où sont les gens« . Petit à petit, les données fiscales, celles des entreprises, de santé, de crédit, sont ajoutées au système.

Dès 2011 la Banque mondiale a mis en place un projet pionnier au Bangladesh, pour « offrir » une identité numérique à chaque habitant – comme si c’était une priorité dans ce pays. Déjà, on voulait inclure des données biométriques dans cette « digital ID ».

En 2015, au sujet de cet ambitieux programme dont personne n’avait besoin en réalité, la Banque Mondiale soulignait : « Entre autres choses, ce programme nécessite un fort leadership politique, des réformes ambitieuses et un engagement ferme en faveur de politiques propices au développement. Une démarche qui se traduira à son tour par la nécessité de trouver des ressources plus importantes« . Traduction: il va falloir faire du lobbying auprès des décideurs politiques pour faire avancer ce grand projet, et aussi pour y mettre de grandes quantités d’argent public.

En parallèle, un programme destiné à donner accès au paiement dématérialisé par carte à toute la population a été lancé en 2018 par la Banque mondiale : l’Universal Financial Access 2020. Et il y a aussi eu la Financial Inclusion Global Initiative (FIGI) pour organiser les échanges internationaux sur l’accès à la monnaie numérique pour tous, ou encore les actions de la fondation Gates pour donner accès aux services financiers numériques aux pauvres d’Afrique.

On voit qu’en parallèle de la dématérialisation de la monnaie et des paiements partout dans le monde, le processus d’identité numérique a été déployé.

Des « passeports » conformes à un standard mondial

L’OCDE a lancé officiellement début juillet 2022 un processus d’unification des « passeports vaccinaux » du monde entier, afin de les rendre « interopérables » et supervisables par un seul système.

Cette démarche est en cours depuis décembre 2020, quand Pedro Sanchez (ex 1er ministre espagnol) a demandé de réfléchir à la question de la « sécurité » des déplacements internationaux. De nombreuses discussions et réunions ont eu lieu depuis, pour mettre en place ce système le plus vite possible.

Une réunion des ministres des pays de l’OCDE a eu lieu en mai à Paris pour discuter d’un « passeport » permettant de « sécuriser » les trajets sur le plan « sanitaire ».

Evidemment, tout ce délire est fondé sur l’hypothèse d’une efficacité des « vaccins » et des tests PCR, ce qui comme on le sait n’est pas le cas. L’OCDE affirmait ainsi en mai 2022 que « Les vaccins prouvent leur efficacité« . Après avoir tout bloqué sur la base de modélisations hasardeuses, on veut « simplifier » les déplacements internationaux en imposant des laissez-passer basés sur le statut vaccinal (ce qui existe déjà avec les passeports actuels et les visas), mais qui surtout ont l’intérêt d’être numériques et de permettre la traçabilité des gens.

La commission européenne quant à elle développe depuis 20178 au moins dans le dos des populations son « passeport vaccinal » européen, devenu le Digital Green Certificate en prévision du pass énergétique qu’on va bientôt nous annoncer.

Mais au-delà, elle veut développer un « portefeuille européen d’identité ». Le site nous explique que c’est un « projet de la Commission européenne dirigé par sa présidente, Ursula Von der Leyen, qui vise à introduire un système d’identification numérique unique en Europe« .

En mars 2021 ce green certificate est devenu plus concret avec une proposition de loi « establishing a common framework for a Digital Green Certificate covering vaccination, testing and recovery » (Etablir un cadre commun pour un certificat vert numérique couvrant la vaccination, les tests et la récupération), c’est-à-dire un laissez-passer qui serait temporaire, valable dans toute l’Europe pour les « vaccins », les tests PCR et les gens qui ont eu le covid. Les autres n’auront pas le « Green certificate ».

S’il est « temporaire », on se demande pourquoi autant d’efforts, qui se poursuivent alors que le covid, prétexte à ce délire, se soigne très bien

En mars 2021 également, l’OMS qui a publié son « Interim guidance for developing a Smart Vaccination Certificate » (Conseils provisoires pour l’élaboration d’un certificat de vaccination intelligent): l’objectif est de fixer des spécifications, des normes et un cadre de confiance pour créer « un certificat de vaccination numérique afin de faciliter la mise en œuvre de solutions numériques efficaces et interopérables qui prennent en charge la livraison et la surveillance du vaccin COVID‑19, avec une applicabilité prévue à d’autres vaccins« .

Il n’est pas, à l’heure actuelle, destiné à être utilisé à des fins de voyage, mais plutôt pour suivre le déploiement et les politiques de vaccination, mais peut très bien être utilisé par les autorités souhaitant tenir compte du statut vaccinal dans leurs politiques de voyage.

Tout cela rejoint aussi l’initiative privée ID2020, la « Digital Identity Alliance » destinée à mettre en place une « identité numérique », qui réunit toutes les données numériques d’un individu, et cela de manière « sécurisée » bien-sûr. En février 2022, ID 2020 a lancé le Good health pass collaborative (Pass bonne santé collaboratif) pour assurer l’interopérabilité des systèmes qui sont mis en place un peu partout.

Initiative privée lancée en 2016 par la fondation Gates, le GAVI, Microsoft (donc tout ça c’est Bill Gates), Accenture et la fondation Rockefeller [1], ID2020 réunit de nombreux acteurs du numérique et des données de santé principalement, soutenue par Tony Blair au nom de son Institute for Global Change (qui veut aussi numériser l’éducation mondiale).

Il y a beaucoup de monde sur le marché, comme Thalès et son Digital ID Wallet (portefeuille) qui est focalisé sur l’identification et veut confondre identité réelle et numérique, Electronic Identification, qui serait le « premier fournisseur mondial de systèmes d’identification à distance par streaming vidéo« , Atos dont le président du directoire de 2008 à octobre 2019 était l’ex ministre Thierry Breton. Breton a quitté son poste parce qu’il a été nommé par macron comme commissaire européen au marché intérieur. Le pantouflage dans toute sa splendeur, ou le tourniquet public-privé en permanence.

Thalès et Atos se sont mis ensemble en mai 2021 pour créer Athea, n°1 en Europe « du traitement de données massives et de l’intelligence artificielle pour les secteurs de la défense, du renseignement et de la sécurité intérieure« , explique un article de Reporterre. Et en juin 2021 Thierry breton a annoncé le lancement d’un « Digital Identity Wallet » dont les premières expérimentations sont prévues fin 2022.

La durabilité selon Mastercard

Depuis l’été 2021, Mastercard et Paycode sont occupés à numériser l’identité biométrique de 30 millions d’africains et à leur fournir en même temps une carte bancaire sur des « cartes à puce sécurisées par accès biométrique« . « Cette entreprise est la preuve d’un marché émergent de l’identification numérique organisé par des institutions privées« , relevait Identity Review. Ils s’occupent aussi du Brésil, notamment.

Si elle est adoptée comme l’espèrent Mastercard et Paycode, cette identité numérique « sera le principal garant d’identité pour 30 % de la population africaine qui reste sans pièce d’identité« .

On note que Mastercard [2], décidément en plein œcuménisme, a aussi créé son « Mastercard Center for Inclusive Growth« , qui donne un vernis un peu civique au projet de numérisation de la population. Il pilote le Mastercard Impact Fund qui finance des études « indépendantes » et des programmes pour faire émerger des leaders locaux.

L’installation d’un capitalisme de surveillance

Tous ces joujoux numériques absolument inutiles pour le commun des mortels, identité numérique, objets connectés, reconnaissance faciale ou biologique etc. servent d’abord à accumuler des données sur le comportement des individus. Celles-ci sont ensuite vendues et utilisées pour faire travailler l’intelligence artificielle, dans le cadre d’un capitalisme de surveillance dans lequel l’humain est d’abord rentable par la masse de données qu’il produit et qui permettent de prévoir son comportement comme de l’influencer.

Cela, c’est leur projeeeeet. Mais il y a plusieurs problèmes, dont l’énergie et les matières premières nécessaires, que nous n’avons pas en quantité suffisante même à court terme.

Mais cette identité numérique, combinée au payement numérique d’argent dématérialisé, s’intègre dans une « infrastructure publique numérique » gérée par des acteurs privés. On ne parle pas des droits des citoyens, excepté celui d’avoir sa vie numérique dans une carte à puce.

Potentiellement, l’ID numérique peut avoir un impact négatif sur plusieurs droits des citoyens, de la santé à la non-discrimination en passant par l’accès à la sécurité sociale, à l’administration, la liberté de mouvement…

Que deviendra ce système numérique global, dans lequel nous aurons tous un jumeau numérique, dans un monde dirigé par des psychopathes qui n’ont aucune limite dans leurs velléités de contrôle total?

Au Kenya, où la banque mondiale soutient aussi l’ID numérique, certaines populations sont exclues de la citoyenneté, et dans un monde numérisé elles pourront être exclues de la vie sociale, la Cour suprême a déclaré en 2021 que le déploiement d’un système d’identification biométrique à l’échelle nationale était illégal. Un coup dur selon le forum de Davos, qui expliquait le 31 mai 2022 que « de nombreux pays continuent de se débattre avec les limites juridiques, réglementaires et éthiques des systèmes d’identification nationaux« .

L’article pointait aussi les grosses failles de sécurité des données, surtout dans des pays n’ayant pas les moyens de se protéger et le risque d’exclusions de certaines populations -comme on l’a vu avec le fameux passeport « sanitaire » puis « vaccinal » du micron et McKinsey [3]. Enfin, il apparaît que beaucoup de pays n’ont pas les moyens de maintenir seuls la coûteuse l’architecture nécessaire à l’ID numérique et à sa sécurité (sécurité illusoire même chez nous, puisque les données de santé des français sont hackées régulièrement, par exemple 500.000 en février 2021 et encore 510.000 en mars 2022) [4].

Si le numérique devient la condition d’exercice de nos droits, que deviendront ceux qui refusent la surveillance?

Les conditions de tout cela sont d’avoir des smartphones pas cher, des gouvernements prêts à ouvrir les vannes aux « innovations » numériques jusqu’à ce qu’elles remplacent les Etats, des citoyens qui laissent numériser leur vie entière sans se demander à quoi servent toutes ces données récupérées par les géants privés du numérique, américains pour la plupart. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le discours techno et pseudo rationnel des McKinsey, Banque mondiale et autres tenants de l’identité numérique, le choix de ce système placé entre les mains d’un secteur privé mondialisé est un choix politique, certainement pas une évolution normale de nos sociétés.

Sans notre collaboration il ne peut pas y avoir de société de surveillance.


[1] Ils ont été rejoints par Ideo, une boîte de la Silicon Valley qui veut faire un « monde meilleur » par le design numérique.

[2] Parmi les principaux actionnaires de Mastercard on trouve encore Blackrock (1,92%), Vanguard (7,58%), Capital Research & Management Co (1,68%)

[3] Pour se prémunir contre ces risques, l’article du forum de Davos recommande de « réduire le degré de centralisation » des données, ce qui n’est pas la logique des acteurs privés engagés dans le développement de l’ID numérique.

[4] Des travaux de recherche sur 26 projets d’identité numérique lancés entre 2009 et 2019 ont montré qu’ils sont 6 fois plus chers que le système normal d’état civil.

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer